« Alexandria » de Quentin Jardon
L'auteur rend passionnante la création du Web qui a bouleversé le monde. Enfin, un livre qui nous permet de comprendre l'arrivée officielle du WWW (World Wild Web) en 1989 et qui met aussi en lumière Robert Cailliau, un inconnu qui, comme tant d'autres précurseurs, a été ignoré, malgré son rôle essentiel.
Quentin Jardon, l’auteur, est retourné au berceau du web, en Suisse, dans les laboratoires du CERN. Ce lieu destiné à la recherche sur les particules (le fameux accélérateur) , abritait dans les années 80-90 deux opiniâtres chercheurs, qui voulaient mettre au point un système d’échanges d’informations entre scientifiques. Le physicien belge Robert Cailliau a été le seul homme à croire en Tim Berner-Lee, génial informaticien britannique. Celui-ci avait le projet de rendre les ordinateurs utiles bien au-delà des limites du CERN et de les rendre aussi futés que nos cerveaux.
C’est l’hypertexte, qui nous semble si naturel aujourd’hui, qui est la clé de tout.
Oui, ces 2 hommes ont créé le lien hypertexte qui a permis la connexion de tous les ordinateurs et donc le développement du système d’information devenu World Wild Web. C’est incroyable. Ces 2 personnes ont partagé une utopie: créer un réseau mondial ouvert au domaine public. Avant le règne de Google, Facebook, Instagram et Amazon, avant les désillusions et les empoignades, avant la ruée vers l’or, Alexandria est le nom du projet de Robert Cailliau, une bibliothèque des savoirs. Qu’en reste-t-il aujourd’hui ? Wikipedia. C’est bien peu. Comment en est-on arrivé là?
Comment l’Europe a laissé filer la toile?
À la lecture du récit de Quentin Jardon, on prend conscience qu’avant que le web ne s’impose, se sont écoulées trois ou quatre années édifiantes. Hélas, le web, invention européenne, a été littéralement récupérée par les Américains. Bêtement : les Américains ont beaucoup mieux compris l’intérêt du système de Tim Berner-Lee et de sa mise à disposition de tous. Ils lui ont donc proposé de développer son système chez eux et ils ont ainsi démarré leur domination. En Europe, Robert Cailliau a eu beau frapper à toutes les portes, de la direction du CERN jusqu’au bureau de Jacques Delors, alors président de la Commission européenne, personne, parmi toutes les éminences qu’il a croisées, n’a compris l’importance, l’intérêt et le potentiel du web.
La désillusion
Robert Cailliau voulait nommer le web « Loki » du nom d’un dieu nordique. Ce dieu est fourbe, immoral, manipulateur. Les maléfices de « Loki » prolifèrent aujourd’hui sur la « toile ». Comme l’auteur, nous pouvons être amers.
Quand on lit aujourd’hui les grandes déclarations en faveur d’une taxe sur les profits des Gafa, on rêve. Tim Berner-Lee a franchi l’Atlantique pour développer le web. Mais depuis, la pub, les fake news et le big data ont transformé l’utopie.
« Editions Gallimard » – 2019